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Funérailles du fr. Ange Rodriguez



Voici le texte de l'homélie du fr. Benoît Delhaye pour les funérailles du fr. Ange Rodriguez o.p., le 23 mai 2022.


Un évangile de Pâques (Lc 24, 1-12). Le Christ est ressuscité, nous l'avons célébré il y a quelques semaines, et nous continuons tous les jours puisque nous sommes dans le temps pascal, juste avant l'Ascension. Le tombeau du Christ est vide, il n'y a que deux anges qui se tiennent là pour rassurer les femmes qui venaient embaumer le corps. Il n'est pas là, il est ressuscité.


Un bon choix, le temps pascal, pour quitter ce monde et traverser la mort. Peut-être un clin d’œil de la providence au frère Ange, qui était fasciné par le mystère de la résurrection du Seigneur. Il l'a médité tout au long de sa vie, il en a parlé, il a écrit des livres pour nous faire partager sa réflexion, nous expliquer comment il envisageait la résurrection des morts. Pour ressusciter, il faut, un jour ou l'autre, mourir. Ange parlait facilement de la mort, en tant que réalité naturelle, normale, dont il ne fallait pas avoir peur. Il n'avait pas peur de sa propre mort, car il l'envisageait comme la fin d'une étape, celle que nous passons sur la terre, avant de commencer l'étape suivante, la dernière, celle du Ciel. La mort est un passage, une Pâque, d'une vie vers une autre. Ou plus exactement, une entrée dans la plénitude de la vie, où nous aurons enfin les réponses à nos questions, mais surtout où nous serons accueillis par le Christ, et nous pourrons enfin voir Dieu.


Ange n'était pas attiré par la mort. Il n'y avait en lui rien de macabre. Il aimait trop la vie pour avoir envie de la quitter. Mais il savait que dans la vie il faudrait un jour affronter un événement qui anéantit le corps et le fait disparaître aux yeux des hommes. La mort. Le corps s'éteint mais la vie, elle, se poursuit ailleurs et autrement. Ange n'était pas pressé de mourir. Il voulait avoir le temps de préparer sa mort, c'est-à-dire de préparer sa résurrection. Pour cela, il avait décidé de vivre dès maintenant, chaque jour, comme s'il était déjà ressuscité. Pour lui la mort n'est pas le moment du jugement, ni de la métamorphose. Elle est l'entrée dans la plénitude de la résurrection, qui commence dès le baptême.


Il a écrit, dans son petit livre sur l'au-delà, ces quelques mots qui en disent beaucoup sur sa personne et sur sa foi : « La résurrection relève de l'ontologie, de l'être, de ce que nous sommes devenus, de ce que nous deviendrons. Nous devons donc devenir des ressuscités dans notre vie, maintenant, si nous voulons l'être dans l'autre. Il faut se construire ici pour l'éternité. Si l'on se construit selon le Christ ici, nous pourrons devenir des ressuscités. » Se construire selon le Christ ici. Voilà le principe de sa vie, et de la vie de tout chrétien.


Ange a placé sa personne et sa vie de chaque jour sous le regard tendre et miséricordieux de Jésus Christ. C'est dans le Christ qu'il a trouvé sa joie, qu'il a puisé l'amour qu'il prodiguait à son tour avec une immense générosité. Aimer, pour Ange, c'était la chose la plus normale, la plus nécessaire ; il voulait rendre un peu de l'amour qu'il recevait de Dieu. Aimer était naturel. Mais cela ne veut pas dire qu'il a aimé avec autant de facilité qu'il l'aurait souhaité. L'apparence joyeuse et sereine du frère Ange cachait aussi sa part de tristesse. D'une extrême sensibilité, Ange a beaucoup souffert de ne pas recevoir tout l'amour dont il avait besoin. De sa famille, de ses frères dominicains, de ses paroissiens, de ses amis, il souffrait de la distance qui sépare toujours les cœurs et les âmes, et qui les plonge parfois dans des abîmes de solitude.


Pour autant, il ne se plaignait pas. Il n'en voulait à personne, et refusait de se complaire dans l'amertume et la rancœur. Il était bien conscient de la dimension dramatique que revêt toute existence humaine, parsemée de bonheurs et de peines, traversée de jardins d'orchidées baignés de lumière et de couleurs, mais aussi de déserts arides et de nuits obscures. Tout cela, il le transfigurait en amour en puisant dans sa foi solide comme le roc, en se plongeant dans la prière, la méditation de la Bible, la contemplation de Dieu dans les fleurs, les oiseaux, les œuvres d'art qui ne l'ont jamais quitté.



Il avait reçu ce don de ne jamais s'avouer vaincu, mais de transformer ses peines en tendresse, sa solitude en espérance, son inquiétude en action de grâce. Voici quelques lignes que j'ai trouvées dans un carnet, en rangeant ses affaires. C'est une louange adressée à Dieu, une déclaration d'amour, une leçon spirituelle :


« Dieu ne nous doit rien. Nous, nous lui devons tout.

Mon Dieu chéri ! Tout faire pour t'aimer ; tout faire pour qu'on t'aime.

Te dire, et te redire, inlassablement : je t'aime.

Dans la sécheresse et l'aridité spirituelle, je t'aime.

Dans la solitude de l'âme, je t'aime.

Dans le désert affectif, dans le froid de l'indifférence, je t'aime.

Dans la fragilité du corps, dans la fatigue du vieillissement, je t'aime.

Dans le combat de la tentation, je t'aime.

A l'approche de la mort, je t'aime. »


Ange a résisté, il a mené le combat de la foi et de l'amour. Il en est sorti vainqueur, aguerri, capable de soutenir tous ceux pour qui c'était plus difficile, par une écoute, un sourire, une parole bienfaisante. Il faut dire qu'il était bien armé, avec une personnalité solide. Peut-être parce qu'il était originaire des Asturies, pays où la vie est rude et les caractères bien trempés. Mais sans doute aussi parce qu'il se savait accompagné de son ange gardien, en qui il avait une confiance absolue. Il aimait rappeler à ses frères et à ses amis, ou dans ses conférences, que chacun était accompagné par l'ange que Dieu lui avait attribué. Il nous reprochait de ne pas assez prendre soin de notre ange, de ne jamais penser à lui, de ne pas penser à le remercier.


Il y a une chose en particulier qu'il avait hâte de savoir une fois qu'il serait mort. Un petit plaisir qu'il attendait avec impatience et en se réjouissant d'avance : « L'une de mes curiosités concernant l'au-delà, dit-il, c'est de voir enfin mon ange gardien et pouvoir discuter avec lui des accidents de ma vie, des obstacles qu'il m'a épargnés, de la complicité secrète qui s'est nouée entre nous au fil des années. »


Je l'imagine en ce moment-même, après avoir salué chaleureusement saint Pierre à l'entrée du Paradis, après avoir embrassé tendrement la Vierge Marie, se retourner pour dire à son ange : Ah te voilà toi ! Je suis bien content de te voir enfin ! J'ai beaucoup de choses à te demander. J'espère que tu auras un peu de temps à m'accorder pour qu'on parle tous les deux. Et l'ange gardien répond : J'ai l'éternité, et, te connaissant, mon cher Ange, je crois que ce sera à peine suffisant pour écouter tout ce que tu veux me dire, et pour que je puisse tout t'expliquer. Mais avant de commencer notre entretien, j'ai un dernier conseil à te donner : tu vois cette porte recouverte de feuilles d'or, sertie d'émeraudes et de saphirs, avec une poignée en diamants ? Ouvre-la. Derrière c'est la salle du trône, dans la Jérusalem céleste. Dieu est là. Il t'attend.



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